En décembre 2015 est sorti en France, en même temps que le film Demain, un livre homonyme, écrit par Cyril Dion, paru aux éditions Actes Sud, qui complète le film en en approfondissant certaines dimensions. Cette publication bienvenue permet de mieux saisir l’ambition du film, à travers la nécessité d’écrire un récit mobilisateur autour de la transition écologique. Une des personnes rencontrées par l’auteur dans le cadre de la réalisation du film explique clairement le rôle des histoires dans la capacité des hommes à mettre en route leur devenir : « Car c’est ce que nous savons faire le mieux, raconter des histoires. C’est ce qui parle au cœur, c’est ce qui fait la différence ». D’où la nécessité de proposer un récit qui permette de dessiner un avenir, alors que le discours scientifique montre clairement l’impasse à laquelle l’humanité est en train de se confronter, mais qu’il ne suffit pas à la mise en route de nos sociétés.
Cela peut nous permettre de mettre en lumière la triangulation qui semble à l’œuvre dans le concept de transition écologique, à travers ces trois notions de science, de technique et de récit. La science paraît aujourd’hui tout à fait ambivalente, entre d’un côté une science qui permet de documenter l’état du monde, et une autre qui alimente le développement technologique, qui nourrit par ses effets pervers, les difficultés que l’humanité a à affronter. Cette distinction est proposée par Jean-Marc Jancovici dans un article du 28 février 2017, où l’auteur s’inquiète de politiques publiques qui promeuvent massivement une science au service de la technique, alors que la science qui nous permet de comprendre le monde et son évolution reste marginale et peu prise en compte dans les décisions publiques et privées. D’où l’impression d’un dévoiement de la science vers la technique.
Dans le même temps, le livre de Cyril Dion apporte des éléments intéressants sur un dévoiement de la technique comme récit. Ainsi, même si l’idéologie du progrès n’est plus partagée comme elle put l’être au tournant du XIXème siècle, l’ensemble de nos usages de la technique prennent une forme addictive qui nous fait adhérer à un récit dont les mots-clés sont : intelligence artificielle, numérique, robotisation, connectivité, etc… Cette adhésion n’est pas forcément choisie, mais elle nous fait rentrer dans un récit de développement économique et technologique qui est l’idéologie dominante aujourd’hui : poursuite de la croissance, promotion de l’innovation pour l’innovation, mythe de l’accélération, déshumanisation de l’homme… Les réflexions de Cyril Dion, qui s’étonne de la profondeur des expériences qu’il relate et de la vacuité de l’univers dans lequel il évolue, montre la caractéristique principale de ce récit technologique : il est aliénant, le sujet étant pris dans un tissu de relations techniques qui le contraint, alors qu’il aspire profondément à autre chose.
D’où la nécessité de réécrire un récit positif, qui permette à nos sociétés de se réapproprier leur devenir, au sujet d’unifier ses aspirations et ses pratiques, et à notre humanité de tirer pleinement les conséquences de ce que nous dit la science de nos possibilités sur cette terre. Ce récit, c’est celui de la transition écologique.
Emmanuel Paul de Kèpos