L’été est propice aux lectures. Ainsi en a-t-il été pour nous avec Les racines du ciel, de Romain Gary. Ce roman, Prix Goncourt en 1956, prend place au Tchad, en Afrique Equatoriale Française (AEF) dans les années 50. Un homme y décide de prendre les armes pour défendre les éléphants, victimes d’une chasse intensive. Son but est de sensibiliser l’opinion internationale afin de faire évoluer la loi et faire interdire cette chasse, tant les volumes de bêtes abattues chaque année sont importants (30000 par an), certains chasseurs ayant jusqu’à 500 éléphants à leur tableau de chasse.
Le récit se fait à plusieurs voix afin de comprendre « la vérité sur Morel », le héros du livre. Celui-ci, après avoir tenté de faire signer une pétition pour la défense des éléphants, se retire dans la brousse, depuis laquelle il mène des expéditions pour châtier les chasseurs ou autres négociants d’ivoire. Il est rejoint dans sa lutte par une équipe improbable : un naturaliste danois, un major déchu de l’armée américaine, une entraîneuse berlinoise, des indépendantistes africains…
Au fil du récit se dessine la raison d’être de sa démarche : ni la misanthropie, ni le combat politique, mais le sursaut pour la défense de la nature, d’une « marge humaine » qui ne sacrifie pas tout à l’efficacité et au progrès, mais consent à s’embarrasser de pachydermes énormes, dont les troupeaux dévastent tout sur leur passage et s’accommodent bien mal du souci de développement des sociétés contemporaines. Au delà de la nature, pour l’auteur, c’est bien de la dignité humaine dont il est question : à l’heure de la « bombe atomique », « des camps de travail », et de l’exploitation généralisée de la nature et des hommes par l’homme, celle-ci a l’apparence, telle les éléphants, d’une survivance archaïque dont nos sociétés de veulent plus s’accommoder.
L’analogie fonctionne redoutablement avec l’époque actuelle, tant les germes de ce que nous connaissons aujourd’hui étaient déjà présents dans cet ouvrage vieux de soixante ans. Le combat actuel pour la transition écologique peut s’inscrire dans une même logique de refus : non pas seulement assurer un avenir à l’homme au moment de bouleversements environnementaux majeurs, mais accepter de donner toute sa part à la dignité inaliénable des êtres vivants contre la logique d’asservissement. Et consentir ainsi à laisser grandir en l’homme « les racines du ciel », « ce besoin de justice, de liberté, d’amour – ces racines du ciel si profondément enfoncées dans (la) poitrine… »
« Les racines étaient innombrables et infinies dans leur variété et leur beauté et quelques-unes étaient profondément enfoncées dans l’âme humaine – une aspiration incessante et tourmentée orientée en haut et en avant – un besoin d’infini, une soif, un pressentiment d’ailleurs, une attente illimitée. »
PS : un Morel contemporain, Wayne Lotter, héros de la défense des éléphants en Tanzanie, vient précisément d’être assassiné le 16 août 2017. La nécessité de la défense des éléphants est toujours actuelle.
Emmanuel Paul de Kèpos