Parmi les films ayant œuvré à la prise de conscience du grand public autour des problématiques de transition, figure un documentaire de Coline Serreau, sorti en 2010 : Solutions locales pour un désordre global. Très axé autour des problématiques agricoles, il fait le portrait de l’agriculture productiviste, issue de la Révolution verte, pour mieux mettre en valeur les démarches visant à s’en affranchir : réappropriation des semences par les agriculteurs, rétablissement de la vitalité des sols, abandon des intrants chimiques, création de nouveaux circuits de distribution…
Le film donne la parole à des agriculteurs, des militants ou des scientifiques, qui mettent en lumière la nécessité d’un changement de modèle agricole. Le propos est dense et parfois insistant, et souffre d’être peu nuancé. . Il en résulte néanmoins un constat accablant pour les pratiques actuelles, mais dont on aurait aimé mieux cerner la complexité. En dépit de cela, deux idées originales ressortent, qui, nous semble-t-il, viennent questionner de manière pertinente la conception que l’on peut se faire de l’homme aujourd’hui.
La première idée est relative au rôle respectif de l’homme et de la femme dans les activités agricoles. Aux dires des acteurs interrogés, en Europe ou en Inde par exemple, l’agriculture productiviste actuelle se nourrit d’un renforcement de la domination masculine, au détriment du rôle joué par les femmes dans les sociétés traditionnelles, par exemple dans la conservation des semences, dans la gestion des exploitations, dans la transformation des productions ou encore dans la transmission des savoir-faire. Les personnes rencontrées insistent sur le caractère féminin de la terre – lié à la fertilité et donc à la vie -, s’inscrivant effectivement dans une analogie qui se rencontre dans la littérature ou les mythes[1]. Qualifiée de masculine, l’agriculture moderne paraît alors éminemment guerrière, s’appuyant sur des techniques et des industries développées à l’occasion de la seconde guerre mondiale : chimie de synthèse, machines tractées… On assiste alors à un double mouvement de domination masculine : exploitation irrespectueuse de la terre, et dépossession des femmes de leur rôle.
La deuxième idée intéressante est celle qui lie technique, démographie et concentration des moyens de production. Au fur et à mesure que les évolutions techniques sont reprises par les agriculteurs, on assiste à une diminution flagrante de la population agricole et à une concentration des moyens de production (terre, semences, engrais…) chez un nombre d’acteurs toujours plus réduit. Ceci entraîne des rapports de plus en plus asymétriques entre la minorité qui bénéficie du système, et ceux qui en sont peu à peu exclus, les petits paysans. Les campagnes deviennent des déserts agricoles et sont désormais peuplées de périurbains, tandis que la concentration (des profits, du capital, des savoir-faire) s’autoalimente. Cette tendance à l’accumulation, mise en lumière par exemple par Jacques Ellul, fonde d’une certaine manière le monde occidental contemporain, et est source de ses déséquilibres.
Au regard de ces évolutions sociales, techniques, économiques ou géographiques, c’est bien la question de l’homme qui est posée. Les solutions mises en valeur dans le film vont dans le sens d’un retour à une anthropologie de la terre, de la proximité et de la vie, contre celle de la domination et de l’utilité confisquée par quelques uns.
[1] Voir par exemple Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, collection Folio 1987, Gallimard 1972, pages 134-136
Emmanuel Paul de Kèpos