Les éditions Actes Sud ont publié dernièrement un ouvrage qui semble recevoir un certain écho : l‘économie symbiotique, d’Isabelle Delannoy, ingénieur agronome ayant collaboré avec Yann Arthus-Bertrand. L’auteur y montre comment, selon elle, une nouvelle forme d’économie est en train d’émerger, imitant le fonctionnement naturel des écosystèmes, à rebours d’une économie extractrice, linéaire, à la gouvernance hiérarchique.
Isabelle Delannoy propose ainsi de mettre en système des phénomènes émergents et multisectoriels : agroécologie, biomimétisme, économie de la fonctionnalité, open source, interopérabilité, formes coopératives de gouvernance… Elle y voit des formes d’organisation de l’activité humaine mimant la symbiose, et donc potentiellement régénératrice pour les écosystèmes, les ressources, et le lien humain. Au cœur de cela, l’information joue un rôle essentiel : elle (in)forme la matière, le vivant ou l’humain, elle les organise. Son accroissement et sa transmission permettent de sortir de l’aporie des limites physiques auxquelles l’humanité se trouve confrontée, en permettant d’optimiser l’usage des ressources à disposition. Ainsi se dessine un nouveau chemin qui sort des logiques d’exploitation au profit de celles de relation et d’efficience.
L’auteur fournit des réflexions intéressantes au sujet de ce qu’elle appelle les « méta-entreprises », qui nous concernent plus particulièrement. La question est de savoir comment construire des « coalescences d’entreprises » selon des logiques symbiotiques. Ainsi apparait l’intérêt de démarches de mutualisations ou de coopérations interentreprises, incluant producteurs et consommateurs, construisant ainsi des « communs entrepreneuriaux », permettant une meilleure efficience des activités et une distribution juste de la valeur. Les méta-entreprises, comme formes organisant des « territoires de flux », sont ainsi les structures à vocation coopérative qui permettent la réalisation de cette symbiose. C’est précisément que ce que nous voulons mettre en chantier à travers notre projet.
Si l’ouvrage n’offre pas de démonstration scientifique, il n’en propose pas moins des intuitions qui permettent un pas de côté pour réenvisager ce que serait un développement harmonieux. En ce sens, il prend régulièrement appui sur les travaux de Pierre Teilhard de Chardin, offrant ainsi une perspective d’avenir de long terme à l’humanité, refusant un choix binaire entre fuite en avant technologique et simple adaptation devant le chaos environnemental à venir. Incontestablement, les éléments du puzzle sont présents, mais le chemin n’est pas écrit. Et si l’économie symbiotique est potentiellement déjà là, les anciens modes de fonctionnement sont encore majoritaires, en une sorte de coexistence des contraires, que Robert Musil, dans L’homme sans qualités, analyse bien comme essentielle à notre époque. Il n’en reste pas moins que voici une grille de lecture très riche offerte à tous les praticiens qui voient en la transition écologique un chemin de régénération pour l’homme.
Emmanuel Paul de Kèpos