Lorsque l’on parle de transition écologique, il n’est pas rare de rencontrer le scepticisme de son interlocuteur. Le terme intervient à la suite d’une longue litanie d’appellations, au sens plus ou moins arrêté et aux arrière-pensées pas toujours fiables : développement durable, croissance verte, responsabilité sociétale des entreprises, transition énergétique… Pourquoi celui-ci devrait-il fixer notre attention, et servir de modèle aux mutations que nous voulons encourager ? Qu’y a-t-il dans ce concept ?
La première idée est celle d’une transition, donc d’un passage, d’un état actuel, à un état futur à définir. L’état actuel se caractérise par un recours généralisé à des ressources non renouvelables, et par des impacts sur l’environnement qui sont facteurs de désordres graves pour la nature. Cet état actuel est donc marqué par des incohérences dans le système (changement climatique, effondrement de la biodiversité, augmentation des inégalités…), qui menacent sa pérennité. Notre intuition est que la transition écologique est un passage dans lequel on cherche à résoudre, partiellement ou totalement, ces contradictions. Autrement dit, cela veut dire aboutir à une situation où les activités de l’homme ne sont pas une menace pour sa propre existence, soit directement, soit indirectement par le biais des écosystèmes dans lesquels il s’inscrit.
Comment faire ? La démarche n’est pas écrite d’avance, et il n’y a pas de recettes techniques à appliquer de manière systématique. Le Pape François promeut la bonne approche quand il situe la difficulté, non pas sur un plan technique ou même politique ou économique, mais sur un plan anthropologique et spirituel. C’est l’ensemble de notre être-au-monde qui est concerné. La transition écologique se définira en même temps que des hommes se confronteront à sa réalisation, mais d’ores et déjà, il nous semble que des mots clés apparaissent : sobriété radicale sur les ressources, afin que rien ne soit consommé qui ne puisse être renouvelé dans la durée d’une vie humaine ; limitation des impacts, afin d’arrêter la perturbation des écosystèmes, et même les régénérer ; résilience des organisations humaines au service de l’adaptation à des conditions de vie radicalement nouvelles ; technologies simples, soutenables et non aliénantes (les fameuses Low Tech) ; et enfin respect absolu de la personne, vue, à l’invitation de Kant dans les Fondements de la métaphysique des moeurs, jamais totalement comme un moyen, mais toujours en même temps comme une fin. A cela s’ajoute deux éléments transversaux : la transition écologique est un processus multidimensionnel qui concerne toutes les dimensions de la vie humaine ; et c’est une transformation qui demande, pour être menée, une vision systémique du monde, où tout élément est organiquement relié aux autres, et selon laquelle une action sur un paramètre du système a un effet sur tous les autres paramètres du système.
Est-ce possible ? Pas sûr, mais nous n’avons pas le choix : soit nous choisirons la transition, soit nous la subirons. Comme l’exprime Gaël Giraud, c’est à nous de décider si nous voulons construire des communautés humaines résilientes, solidaires et soutenables, ou si nous préférons un monde bunkerisé, où quelques uns se protègent dans des gated communities pendant que la majorité vit dans une société disloquée aux conditions de vie intenables, telle que peut par exemple la décrire Zigmunt Bauman dans La société assiégée. Quoiqu’il en soit, nous avons devant nous des problèmes globaux d’une ampleur colossale. Nous sommes en situation de devoir les affronter, à toutes les échelles (globale, national et locale). Pour cela, nous dessinerons un chemin qui sera notre transition écologique.
Emmanuel Paul de Kèpos