Aujourd’hui se tient le Black Friday, journée mondiale de consommation tous azimuts. Dans le même temps, certains acteurs engagés dans la transition écologique proposent le Green Friday. Au faîte de la surconsommation tente ainsi de voir le jour un mouvement de déconsommation, au point que même le journal Les Echos en fait l’analyse. Il est intéressant de mettre ces deux types de comportements en rapport avec une question clé de la transition écologique, celle des externalités et de la réinternalisation des coûts cachés.
En effet, la surconsommation se caractérise par l’achat massif et ultra-répété, de manière quasi addictive, de biens de consommation peu chers et à durée de vie très courte, alors que le besoin qui préside à leur achat n’est pas réellement là. Ce type de biens est peu cher parce qu’un certain nombre de coûts liés à leur conception, leur fabrication, leur distribution, leur consommation ou leur fin de vie, ne sont tout simplement pas compris dans leur prix. Si l’ensemble des impacts environnementaux, sociaux ou économiques, liés par exemple à une simple chaussure, étaient compris dans son prix de vente, il est peu probable que nous puissions nous en acheter tous les quatre matins (1). Dans la situation actuelle, tous ces impacts sont des coûts cachés (2) qui se diffusent dans notre environnement écologique, économique, social ou géopolitique, et qui sont précisément en train de nous revenir dans la figure. Ceux qu’on appelle les « Gilets jaunes » en sont précisément l’illustration dans le domaine de l’habitat : les coûts de la périurbanisation, de l’étalement urbain, de l’addiction à la voiture étaient des externalité négatives, se situaient à l’extérieur du système. Mais voilà maintenant qu’il va falloir les payer ! Et là, la donne change totalement, car tout ceci fonctionne un peu comme un gigantesque retour du refoulé. Autrement dit, il faut mieux internaliser ces coûts dès le départ, plutôt qu’après coup, une fois qu’ils ont pris une ampleur démesurée.
On voit alors une équivalence se dessiner : surconsommation = prix bas = biens jetables = besoins fictifs = coûts cachés énormes = insoutenabilité, avec l’arrivée d’un moment (maintenant), où il va falloir payer l’addition ! En revanche, il existe une équivalence inverse : déconsommation = prix élevés = biens durables = besoins réels = coûts cachés internalisés dans le prix = soutenabilité plus forte, et addition moins chère à la fin !
Qu’est-ce que cela signifie pour une entreprise ou un particulier ? Emmanuel Druon, gérant de l’entreprise Pocheco, et que l’on voit dans le film « Demain », le résume admirablement en parlant de son entreprise de fabrication d’enveloppes : « Nous sommes trop pauvres pour nous payer de la merde ! ». Autrement dit, l’entreprise qu’il a reprise en très mauvaise situation il y a vingt ans, sur un marché en décroissance, ne pouvait se permettre d’acheter des machines ou des matières low cost, car cela aurait été facteur de coûts cachés insurmontables vu sa situation. Bien au contraire, étant pauvre, il s’est payé les solutions de production les plus écologiques, car ainsi, il a pu être performant. Autrement dit, le low cost non durable est toujours facteur de coûts exorbitants et d’une fuite en avant dans la surconsommation. Payer plus cher des équipements ou matières premières écologiques signifiaient réinternaliser les coûts, pour à la fin être dans une situation financièrement et écologiquement soutenable, car avec beaucoup moins de coûts cachés. Au final, cela nous laisse apercevoir pourquoi, pour une entreprise, la stratégie durable est la stratégie gagnante, pour elle-même, ses parties prenantes, et la société et l’environnement (3). C’est ce que nous voulons montrer avec le collectif Kèpos !
Pour un particulier, Jérémie Pichon, le blogueur de la Famille Zéro Déchet, ajoute un argument supplémentaire : passant au zéro déchet, il a pu travailler moins, tout simplement car en s’achetant des produits réparables, de très bonne qualité, quand il en avait réellement besoin, il a déconsommé, et a pu accroître son niveau de vie en gagnant moins d’argent. Et partant, il s’est libéré d’une forme d’aliénation consumériste à laquelle nous enchaîne la publicité et le marketing. On notera à ce titre avec intérêt le mouvement de Résistance à l’Agression Publicitaire qui fleurit un peu partout, et à Nancy ces derniers jours. Car tout ceci est bien une question de liberté !
(1) On se référera sur ces questions à un numéro passionnant de la revue Projet : « Ceci n’est pas un numéro sur la chaussure »
(2) A propos des coûts cachés, vient de sortir une étude réalisée par un centre de recherche spécialisé dans ces questions, l’ISEOR, sur le coût de l’absentéisme en France. Le mécanisme est dans ce domaine le même que celui que nous décrivons.
(3) Aujourd’hui, Pocheco fait face à d’autres types de difficultés, liés à la disparition de son marché.
Emmanuel Paul de Kèpos