Kèpos a consacré une de ses dernières réunions à la problématique de la santé environnementale, avec l’intervention de Fariborz Livardjani, toxicologue au Centre Albert Jaeger et membre de notre projet. L’occasion de prendre conscience des interactions entre santé et environnement, pour mieux penser la responsabilité de nos entreprises.
Le métier de médecin peut prendre trois formes : celle de thérapeute, qui soigne : celle de préventeur (par exemple les médecins du travail), celle de toxicologue, qui évalue. Traditionnellement, les toxicologues interviennent lors de la délivrance des autorisations de mise sur le marché de médicaments. Aujourd’hui, leur rôle s’est diversifié : ils travaillent entre autres sur les pathologies liées à l’environnement. Cela a pu donner lieu au concept de « médecine environnementale », qui reste très controversé. Il est préférable de parler de « santé environnementale ». Cela pose bien sûr la question de comment on définit l’environnement, et comment on définit la santé.
Une première approche serait de parler des risques qui se manifestent, dans le cadre de vie, sur les organismes vivant. L’environnement est alors appréhendé à travers trois dimensions : l’eau, l’air, et le sol. Il y a une très forte interdépendance de l’homme avec ces trois milieux. Dès lors, quel que soit le type de produit introduit par l’homme, il y a un impact sur nos milieux. Or, on constate à l’heure actuelle une explosion des volumes concernés. On est ainsi passé d’un million de tonnes de produits chimiques par an en 1930 dans le monde, à 500 millions aujourd’hui. 143000 substances chimiques sont sur le marché, dont seulement 3000 réellement évaluées. On peut distinguer les substances pures et les mélanges : les premières sont au nombre de 10000, les secondes offrent des possibilités quasi infinies.
La santé de son côté se définit, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), comme un état complet de bien-être physique, mental et social. Bien plus tôt dans l’histoire, Avicenne affirmait que l’homme doit toujours être pris dans son environnement. Dans le même ordre idée, l’OMS définit la santé environnementale comme l’ensemble des interactions entre la santé et l’environnement. L’hygiène des milieux devient alors la gestion de l’environnement pour la santé. Depuis la conférence de Rio en 1992, la santé est devenue un élément essentiel du développement durable.
Prenons maintenant quelques chiffres pour illustrer la problématique. Entre 1994 et 2010, le nombre de cas de pathologies cardiovasculaires, de diabète ou de cancers a augmenté de 118% en France, alors que dans le même temps, la population n’augmentait que de 19%. 5 millions de tonnes de produits CMR (Cancérogènes, Mutagènes, Reprotoxiques) sont utilisés chaque année en France. 2,3 millions de travailleurs sont exposés aux CMR. Les maladies professionnelles liées aux produits CMR représentent un coût de 650 millions d’euros pour la Sécurité Sociale. On observe une très forte hausse des maladies professionnelles, de l’ordre de 9% par an. Les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) sont également en augmentation rapide et continue. On recense 1000 nouveaux cas de cancers diagnostiqués par jour en France. On estime que 47% des hommes développeront un jour un cancer, et 37% des femmes. Selon le National Cancer Intistute aux Etats-Unis, 35% des cancers pourraient être d’origine professionnelle. On observe 149500 décès par cancer chaque année en France. En outre, on assiste à une explosion des maladies invisibles (hypersensibilité, fybromialgie…). Au final, 88% des décès en Europe sont liés aux maladies chroniques. Selon le Professeur Belpomme, trois quarts des cancers seraient ainsi évitables, car dus à la dégradation de notre environnement.
Les pesticides sont une question clé. Par exemple, 11% des vins contiennent des phtalates. Les pesticides peuvent avoir plusieurs effets. Beaucoup d’études sont en cours sur le sujet, mais les liens de cause à effet sont difficiles à démontrer. Les pesticides peuvent aussi être des perturbateurs endocriniens, avec des effets sur le système hormonal. Ils semblent avoir un effet sur la différenciation sexuelle, et seraient impliqués dans une baisse générale de la fertilité (en 70 ans, la concentration de spermatozoïdes à diminué de 50%). Des effets neurologiques sont aussi à envisager. Les tribunaux commencent à condamner les producteurs de pesticides, en France aussi bien qu’aux Etats-Unis. On observe également des dysfonctionnements du système immunitaire, ainsi qu’un fort développement des allergies. Ce sont tous des produits marqués par une très forte dispersion : on parle de mobilité éco-toxicologique. Selon l’Institut Français de l’Environnement (IFEN), 87% des cours d’eau sont pollués. Les pommes contiennent en moyenne 27 traitements par des pesticides en résidus. La pollution par les pesticides est présente dans tous les aliments végétaux et animaux. L’espèce humaine est dès lors elle-même contaminée, l’homme devenant en quelque sorte une « éponge à polluants ». En outre, tous ces polluants se combinent et donnent lieu à des « effets cocktail », sur lesquels peu de données sont disponibles pour l’évaluation, du fait précisément de leur dispersion. On parle, dans le cas des toxicités aigües, de DES (Dose Sans Effet) et de DJA (Dose Journalière Admissible). Mais cela ne tient pas compte du potentiel toxique des associations de produits, de même que de la répétition des doses, mêmes faibles.
Enfin, on peut faire un focus sur la question de l’habitat, où de nombreuses pathologies peuvent être liées aux Composés Organiques Volatils (COV), à l’amiante, au NO2, au monoxyde de carbone, à la poussière de bois… On observe par exemple une multiplication par deux des cas d’asthme en 20 ans. Dans le même ordre idée, on estime à une fourchette entre 300 et 3000 le nombre de substances comprises dans la fumée du tabac. Tout cela est d’autant plus complexe que parfois, ce n’est pas le produit qui est toxique, mais sa métabolite (le produit de sa métabolisation par l’organisme).
Au final, nous sommes donc arrivés à un seuil dans la contamination globale de notre environnement. Si bien qu’aujourd’hui, l’espérance de vie en bonne santé est en train de chuter. La mort se vit également dans beaucoup plus de souffrances qu’auparavant. Il est donc essentiel d’avoir une vision holistique de son environnement. La conscience des entreprises sur ces sujets est extrêmement faible, et ce même si des outils existent et sont imposés par la loi. Citons ainsi le Document Unique de Prévention des Risques, qui est un outil clé qu’il est indispensable de mobiliser à son juste niveau.
Emmanuel Paul de Kèpos