Ce samedi 11 janvier 2020 se tient à Xirocourt la journée Portes Ouvertes d’Etre éco lié. Rencontre avec Pierre-Antoine Phulpin, un des fondateurs de ce tiers lieu au pied de la colline de Sion !
Qui êtes-vous ?
J’ai trente-quatre ans. Je suis né à Nancy, j’ai grandi en région parisienne, en Côte d’Ivoire et au Gabon, en gardant à l’esprit mes racines lorraines dans le Saintois où j’ai toujours passé mes vacances. Un peu plus tard, j’ai rejoint Epinal pour un diplôme d’ingénieur ENSTIB (technologies et industries du bois) qui m’a amené à exercer pendant trois ans comme cadre de production dans le domaine du bâtiment agricole en bois du côté de la Normandie puis de la Loire. Ces expériences professionnelles ne m’ayant pas pleinement satisfait, c’est après trois mois de marche du Puy-en-Velay à Compostelle que je décide de créer I Wood, une menuiserie participative, dans le village familial de Xirocourt. Depuis, j’explore les approches coopératives, les logiques de commun, avec une fibre particulière pour l’activation par le faire.
Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à la question des tiers lieux ?
Entreprendre à la campagne peut facilement déboucher sur de l’isolement. C’est ce qui m’est arrivé et j’ai rapidement eu besoin de retrouver du contact, de développer mon réseau professionnel. A l’époque, c’était l’émergence du coworking, avec un espace à Nancy, la Poudrière, qui m’a permis de me familiariser avec ces logiques de travail et de partage d’espace. C’était aussi l’occasion de faire le parallèle avec ce qui se passait à l’atelier, en particulier la mise en œuvre de l’apprentissage par le faire, développée dans les fablabs.
Une fois ces différents éléments mis en relation, a savoir bureaux et ateliers partagés, vous arrivez très vite au concept des tiers-lieu que j’ai plaisir à explorer ici et ailleurs depuis. Je retiens deux éléments essentiels : l’agilité dans la définition des besoins ou des réponses apportées, et la plus-value du faire ensemble, d’où naît toujours des idées et des concrétisations insoupçonnées.
Qu’est-ce que Etre éco lié ?
Etre éco lié est une association issue de la rencontre entre deux acteurs spécialistes de l’habitat léger et de l’animation de chantiers participatifs, I Wood et Vit Tel Ta Nature, qui partagent leurs locaux depuis le printemps 2019. A l’instar d’autres bâtiments publics désormais inoccupés à la campagne, nous sommes installés dans l’ancienne école du village de Xirocourt. Nous contribuons ainsi à la pérennité de ce bien public en l’entretenant et en l’aménageant.
Nous souhaitons faire de ce lieu une « fabrique de territoire » spécialisée sur les questions de l’habitat léger et des basses technologies (ou low-tech), autrement dit un espace de fabrication donnant la capacité aux individus et acteurs du territoire de penser et mettre en œuvre des solutions autour de ces thématiques. Cette fabrique a vocation à rapprocher initiatives privées, publiques et professionnelles sur des temps ou évènements particuliers. Nous imaginons des résidences d’artisans ou artistes dès le printemps de cette année, de même que des chantiers ouverts au public pour l’aménagement du lieu.
Que représente le fait de se trouver en zone rurale pour un tiers lieu comme Etre éco lié ?
A certains égards, c’est une forme d’engagement. Le constat étant que l’essentiel des investissements ou de l’attention des élus sont portés vers les agglomérations, au détriment des territoires isolés. Je crois que le plus pénalisant pour nous est le sujet des transports publics.
A d’autres égards, c’est une réelle opportunité. Il y a beaucoup de surface disponible pour des prix très inférieurs à ceux que l’on trouve en ville. Il y a également beaucoup de matériaux ou de matériel facilement mobilisables et une culture de la débrouille, du faire soi-même, de la coopération typique de la campagne. L’enjeu serait de rapprocher des jeunes à la recherche de savoir-faire, et des anciens isolés ayant l’envie de partager les leurs. Les lieux de rencontre ont presque disparu et il y a une réelle attente pour des alternatives, autant concernant les locaux que les citadins en recherche d’un bol d’air frais.
Vous travaillez notamment sur la question de l’habitat nomade. Quel est l’intérêt de telles installations ?
On pourrait aussi parler d’habitat réversible, ou léger, ou minimaliste, et même insolite. Concrètement chez nous, ça se traduit par des cabanes enterrées ou dans les arbres chez Vit Tel Ta Nature, et des yourtes ou charpentes légères chez I Wood. Avec Etre éco lié, nous souhaitons développer le concept d’habitat minimaliste autonome et réversible, avec deux terrains d’expérimentation, l’un sur le parc à cabane de Vittel, l’autre sur le Verger de Vincent, un verger partagé à Xirocourt autour de l’abondance vivrière.
Il y a différents intérêts à ces installations. Le premier est qu’elles sont réversibles, c’est dire qu’elle ne dégradent pas le terrain sur lesquelles elles sont implantées. On peut les retirer sans laisser de traces. Le second est justement qu’elles sont mobiles. C’est une excellente façon de répondre à la contrainte de l’habitat lorsque l’on est de passage, de quelques mois à quelques années, de même que pour un projet d’habitation pérenne où l’habitation légère va permettre d’occuper tout de suite et confortablement l’espace et d’engager les travaux sereinement. Nous privilégions des techniques appropriables par tous, plutôt avec les matériaux naturels ou de réemploi disponibles, pour faciliter la construction et l’entretien. Et sans que ce soit au détriment du confort ou de la durabilité, bien au contraire !
Quelles sont les perspectives à venir pour vous et Etre éco lié ?
Dès ce samedi 11 janvier 2020, à partir de 10h30, les portes ouvertes du tiers lieu au 22 rue du Commandant Dussaulx à Xirocourt. De mon côté, je vais basculer mes activités professionnelles sur des sociétés coopératives, dont Kepos pour des prestations de service, et Vit Tel Ta Nature pour la construction. Une part de mon temps sera consacré au local, notamment avec le développement d’Etre éco lié, une autre à des déplacements sur des projets d’occupation temporaire qui m’apportent toujours une bonne dose d’inspiration.
Pour Etre éco lié, nous rencontrons sur le Saintois et alentours depuis novembre les futurs partenaires et contributeurs du tiers lieu. Nous souhaitons monter d’ici au mois de juin un projet solidement ancré sur le territoire en vue d’une labellisation nationale « Fabrique de territoire » qui nous doterait de moyens non négligeables pour l’activation de ce lieu.
A partir du mois de mars, nous proposerons différents chantiers participatifs. Il y aura une première tranche d’aménagement des locaux, la fabrication d’un zome (une structure énergétique), et celle d’un « village nomade ». Ces chantiers sont un support pour fédérer une communauté autour du lieu, partager des savoirs faire, faire la démonstration des possibilités associées à une fabrique de territoire.
Merci et bon vent !
Emmanuel Paul de Kèpos