Kèpos recevait Maxence Arnould, doctorant à l’INRAE, qui travaille sur la gestion du morcellement de la forêt privée française, et Georges Pottecher, président de Forestys. Retour sur les échanges tenus à cette occasion.
Que planter aujourd’hui ?
Cette société nouvellement créée est un bureau d’études qui a pour mission d’apporter des informations pour accompagner les sylviculteurs. Tout part du constat de la vitesse de déplacement des aires climatiques en France. Celle-ci est de 10 à 15 km par an. Or, un arbre vit en moyenne 100 ans. Il en résulte qu’au moment où l’on abat un arbre, il faut le replanter 1000 km plus loin. Ceci fait qu’en un siècle, le climat méditerranéen sera généralisé sur toute la France, et les sapins des Vosges vont devoir aller voir ailleurs. Les forestiers voient donc les problèmes de ce type qui s’accentuent. Dans le même temps, les crises sanitaires s’accélèrent, à l’exemple de la propagation des scolytes. Le gestionnaire se demande donc ce qu’il doit planter. Celui-ci, en temps normal, se base sur son capital d’expérience. Mais cela est, en ce cas, inutile : le changement climatique va plus vite que la croissance des arbres. La situation d’aujourd’hui est caractérisée par le fait que la vente du bois de paye plus les coûts de gestion de la forêt.
Dans ce contexte, le métier de Forestys consiste à voir ce qui pousse et ce qui crève aujourd’hui. Pour cela, la société s’appuie sur une base de données de l’inventaire forestier national, en utilisant des méthodes de traitement développées par AgroParisTech, dont l’usage a fait l’objet d’une convention avec Forestys. Les clients pour l’instant sont les grandes forêts privées. Pour mémoire, la forêt française fait 16 millions d’hectares, dont 12 millions de forêt privée. Forestys donne des informations, mais fait très attention à ne pas prescrire.
La société fait partie du projet « Des Hommes et des Arbres ». Celui-ci, lancé à l’initiative du Grand Nancy, vise à ce que la Métropole ait un impact positif sur les territoires alentours. Ceci vise à créer un cadre pour valoriser les services écosystémiques rendus par la forêt. Cela peut par exemple concerner la construction, la santé ou les loisirs. La Caisse des Dépôts et Consignation a choisi ce projet dans le cadre de l’appel à projets « Territoire d’innovation ». Il a été très bien évalué, mais les financements sont inférieurs à ce qui était attendu, du fait d’un nombre de lauréats plus importants que prévus.
Le morcellement de la forêt privée
Maxence Arnould réalise sa thèse à l’INRAE, en partenariat avec AgroParisTech et l’ENSGSI. Son travail part du constat que les 12 millions d’hectares de forêt privées en France appartiennent à 3,5 millions de propriétaires. Le seuil entre petits propriétaires et propriétaires plus importants est fixé à 25 ha. La moitié de la forêt privée française est le fait de petits propriétaires. Il est d’ailleurs très fréquent que les propriétaires de ce type ne sachent même pas qu’ils le sont. Pour traiter ces difficultés, le travail de thèse de Maxence Arnould vise à tester la méthode du living lab, une démarche de co-création multi-acteurs, où chacun d’entre eux vaut 1. AgroParisTech est en train de monter le premier living lab forestier au monde. Parmi les acteurs concernés figurent par exemple les notaires qui gèrent la question des successions. Dans les villages, cette méthode revient à inclure les citoyens dans la gestion.
La grand morcellement de la forêt française s’explique par plusieurs facteurs. On peut citer par exemple le partage d’une partie des terres au moment de la Révolution française. Le remembrement n’a pas été possible sur ce type de propriété. En outre, la politique forestière et ses outils sont relativement pauvres. On rencontre ainsi dans les cadastres des propriétaires nés en 1800 ! Les coûts sont énormes pour gérer cette situation. Dans ce contexte, le fait que les acteurs s’intéressent à la forêt est un enjeu de Des Hommes et des Arbres.
Une des problématiques clés pour ce type de propriétaires est de les inciter à renouveler leur forêt. Cette question du renouvellement est très liée à la question du gibier, qui dégrade les jeunes pousses. Il existe par exemple des protections mécaniques des jeunes plants, mais qui restent après sur place, et sont autant de déchets. Des protections chimiques sont aussi possibles. Tout cela coûte très cher et illustre les difficultés de rentabilité de l’activité forestière.
La valorisation des services écosystémiques
La valorisation de la forêt s’appuie usuellement sur la production du bois et la chasse. Mais comment aller plus loin pour rentabiliser les services écosystémiques de la forêt ? Quel est le modèle économique possible ? Des pistes sont explorées autour de la certification, en y faisant rentrer ces services écosystémiques. Mais la certification forestière (avec par exemple les labels PEFC, FSC, etc.) n’est pas dans une bonne dynamique en ce moment, avec une hausse des surfaces qui ralentit. Des labels « bas carbones » pourraient émerger, afin de rémunérer les propriétaires pour le stockage du carbone que leur forêt opère.
En zone rurale, on assiste aujourd’hui à une forte dévastation des haies et des lisières de forêt. Ailleurs, faute d’entretien, des parcelles crèvent sur elles-mêmes. La compensation carbone pourrait donc être une piste pour améliorer la situation. Les entreprises achèteraient du stockage de carbone, en replantant, en transformant le taillis en futaie, ou en boisant une friche. Ce sont là des cas très spécifiques, et du point de vue de la lutte contre le changement climatique, la compensation carbone fait plutôt partie du problème que de la solution : elle devient souvent pour une entreprise un moyen de ne pas entrer dans une logique de sobriété. En outre, un jeune arbre ne stocke que peu de carbone. On peut aussi se demander si ce type de programme est suivi, évalué ? Quoiqu’il en soit, les jeunes arbres meurent beaucoup : dans la sylviculture traditionnelle, on compte 50 survivants pour 1000 arbres plantés.
Les usages de la forêt
La thématique agroforestière devient de plus en plus prégnante. Certains techniciens de chambre s’y intéressent fortement, ce qui n’est pas le cas du CRPF (Centre Régional de la Propriété Forestière) ou des coopératives et exploitants forestiers. De nombreuses pistes sont à explorer : par exemple la pâturage de moutons dans des vergers, ou encore des synergies entre la chasse, le tourisme et l’apiculture. En Meurthe-et-Moselle, des expérimentations sont en cours dans le réseau des Fermes vertes. Les arbres ont ceci d’intéressant en agriculture qu’ils permettent de garder l’humidité sur la parcelle, et qu’ils favorisent la qualité agronomique des sols. Ceci est très lié à la question de l’agriculture biologique. On en parle de plus en plus en école d’agronomie. Cela est d’autant plus porteur que nombre d’agriculteurs s’inquiètent de la dégradation de leurs sols, et ils payent énormément, sous la forme de produits phytosanitaires, pour pallier à cette difficulté. Ils sont sur ces sujets pris dans des injonctions contradictoires très fortes.
La biodiversité devient une question clé de la gestion forestière. Les friches ne sont d’ailleurs pas les zones avec la plus forte biodiversité. Une gestion minimum peut être préférable à l’absence complète de gestion, où le risque est fort en ce cas que des espèces hégémoniques s’installent. Tout ceci pose la question de notre rapport au sauvage et à la singularité. Quel doit être le rôle de l’intervention humaine ? Redevenir une forêt primaire est très long (plusieurs siècles) : il ne suffit pas pour cela de laisser un terrain en friche.
Le bois énergie n’est généralement pas issus de forêts gérées durablement, sauf pour la valorisation des branches et des restes. Cela revient à poser la question de savoir si le bois énergie est durable. Les approvisionnements ne sont en outre pas forcément sécurisés. Ce type d’usage implique des rotations plus rapides. Il est parfois difficile de trouver du bois d’œuvre pas trop cher si un énergéticien est passé avant. Il est également important de ne pas empiéter sur les surfaces agricoles pour cela (tout comme pour la méthanisation). Le bois énergie est en revanche très intéressant après concassage des dépôts en déchetteries ou des déchets de l’industrie. Et il n’y a pas de rentabilité pour le bois énergie sur les petites parcelles.
L’avenir de l’Office National des Forêts (ONF) est un sujet qui revient souvent dans l’actualité. On peut faire le parallèle avec ce qu’il en était de l’assistance à maîtrise d’ouvrage proposée par les Directions Départementales de l’Équipement (DDE) et les Directions Départementales de l’Agriculture (DDA) aux petites communes il y a quelques années. Il en est résulté une dégradation de la compétence d’acheteur de ces communes. Il y a eu une perte de savoir-faire, sans compensation par le secteur privé, l’activité étant difficilement rentable. Plus globalement, les politiques actuelles cherchent à articuler public et privé, mais cela reste très compliqué au niveau local. Mais on est encore très loin d’une privatisation de l’ONF. On observe cela étant une perte de confiance et un mécontentement des petites communes envers l’ONF.
L’avenir
Quelle est la situation de la forêt en Grand Est ? Celle-ci est dégradée : les épicéas sont très attaqués, certains hêtres sèchent par la cyme (deux bûcherons ont été tués récemment du fait de la chute d’arbres morts), les chênes résistent mieux. Les chenilles, qui aiment la chaleur, se développent de manière significative : elles peuvent, en plusieurs années, tuer des chênes. Elles sont en outre très urticantes, ce qui gène les activités de loisirs. Les espèces de basse température voient leur aires diminuer, et sont remplacées, beaucoup moins vite, par les espèces de haute température. Sur la longue durée, la déprise agricole a fait que les sols ont été colonisés par la forêt depuis le XIX siècle. La superficie de la forêt française en a été doublée. La situation tend à s’équilibrer aujourd’hui. Par ailleurs, le feu est un des périls actuels . Jusque dans les années 2000, le risque feu était très limité dans le Grand Est. Sous l’effet du changement climatique, ce risque sera, en 2050, équivalent à ce qu’il est en zone méditerranéenne. Pour information, le feu unitaire avec la surface le plus étendue en France a été, en 2019, situé dans le Jura.
Quel est l’avenir de la forêt ? Il faudrait qu’un travail de coopération tel celui de Kèpos puisse être mené. La situation devient en effet très compliquée, du fait d’une gestion de plus en plus difficile. Il va donc falloir un consensus très important pour aller au delà de ces difficultés. Le collaboratif est donc essentiel, pour arriver à une action concertée entre acteurs dans et hors de la filière.
Emmanuel Paul de Kèpos