Parmi les questions que se pose généralement un porteur de projet figure souvent celle de savoir s’il doit rentrer dans le cadre de soutien proposé par les institutions, qu’il s’agisse de l’Etat, des collectivités territoriales, de l’université ou encore de certains acteurs parapublics (CCI par exemple) ou privés (certaines grandes fondations). La question n’est pas si anodine car celui qui veut monter son projet évolue dans un contexte de ressources rares : il n’a pas beaucoup de temps, a une expertise limitée et un capital fini. La question devient alors de savoir si rentrer dans le cadre institutionnel proposé apportera plus de ressources qu’il n’en consommera.
En première approche, on pourrait répondre par l’affirmative. Oui, les collectivités territoriales offrent des financements intéressants, une CCI peut efficacement aider à structurer un projet, l’université peut apporter une expertise bienvenue… Mais cela se fait-il pour ou contre le projet ? Car une collectivité intervient selon des critères qui lui sont propres, sous-tendus par une vision de nature politique, née d’une conviction et non d’une expertise. L’université produit et diffuse des connaissances scientifiques, mais s’agit-il là de celles dont un entrepreneur a besoin ? Un grand groupe public finance des projets de Start Up, à condition que les synergies dégagées servent sa stratégie. On peut toujours considérer que, malgré des objectifs divergents, la rencontre peut se faire autour d’intérêts partagés. Ainsi, certains dirigeants excellent dans la pratique d’aller chercher là où elles se trouvent les ressources détenues par les institutions. Mais il n’est pas sûr que cela se fasse à l’avantage de l’entrepreneur.
En effet, cela introduit dans son activité de nouveaux indicateurs de réussite, qui peuvent d’une certaine manière altérer ceux initialement liés aux objectifs de son projet. On sera alors tenté d’aller chercher une subvention, plutôt que de chercher à vendre et satisfaire ses clients. Et le risque est sans doute plus marqué dans le domaine de la transition écologique, où les stratégies des grandes institutions ne sont pas claires, et peuvent paraître parfois mal menées ou clientélistes. En tous cas, elles n’arrivent pas à arbitrer simplement entre le souhait de se développer et l’impératif de préserver ressources et écosystèmes.
Ainsi, il y là un risque de dénaturation de la vision initiale de l’entreprise engagée dans la transition. Et cela nous semble d’autant plus vrai que le constat qui peut être fait en matière d’institutions est celui de leur propre asservissement à des objectifs autres que ceux qui leur ont été initialement fixés. Ainsi, à l’interne des institutions, des stratégies subverties peuvent avoir des effets pervers qui viennent perturber très profondément la recherche de l’intérêt général. Il suffira par exemple de regarder les vices générés par les stratégies personnelles à l’université, par la culture de la médiatisation chez le personnel politique, ou encore par la recherche d’impacts mesurables à court terme dans l’action publique.
Au final, la sagesse incitera sans doute à construire les actions de transition sans attendre le blanc seing institutionnel, ce qui permettra sans doute des choix économiquement plus efficaces et éthiquement plus libres.
NB : sur toutes ces questions, on se référera utilement aux travaux d’Ivan Illich, qui montre le côté contre-productif des institutions, par rapport à leurs objectifs initiaux.
Emmanuel Paul de Kèpos