Les 4 et 5 avril dernier à Paris se tenait Produrable, le salon de référence en France dans le domaine du développement durable. Le thème, « Au-delà de la RSE… », invitait à aller plus loin que les seules approches promues par la loi en matière de responsabilisation des entreprises quant à leurs impacts sociaux ou environnementaux. Pourquoi ? Tout simplement parce que, de l’avis d’un grand nombre de personnes que j’ai pu rencontrées sur place, la plupart des acteurs économiques s’en tiennent en la matière à leurs obligations légales, définies dans le cadre de ce qu’on appelle la « Responsabilité Sociétale des Entreprises ». Or, si l’on y regarde de près, ces pratiques ne sont absolument pas capables d’affronter à leur juste niveau les défis environnementaux et sociaux qui sont les nôtres. Dès lors, il convient, comme le disait une consultante présente sur les lieux, de questionner les « nouvelles frontières du développement durable ». Cela revient, d’une certaine manière, à poser aux entreprises la question de leur transition écologique, en les aidant à intégrer les problématiques de sobriété, quant à l’usage qu’elles font de leurs ressources, de limitation de leurs impacts, et de résilience de leur organisation.
Mais il y a très loin de la coupe aux lèvres en la matière, tant les acteurs présents ne présentaient quasiment tous que des approches de type « business as usual » dans la manière dont ils abordaient les questions de RSE ou de développement durable. Chacun se défaussent alors sur l’insuffisance du cadre réglementaire, dont seule l’évolution serait à même de faire muter les stratégies des entreprises. Curieusement, de l’avis des personnes rencontrées, ce sont les grands groupes qui ont le mieux compris les enjeux en cours : ceux-ci ont sans doute mieux saisi que des PME, prises dans le quotidien, que leurs modèles d’affaires étaient en sursis. Mais même avec des dirigeants éclairés et ayant des moyens à consacrer à ces problématiques, il est très délicat d’avancer, et, en tous cas, pas jusqu’à la remise en cause de la recherche d’une meilleure profitabilité.
En effet, dans tous ces milieux, il reste très difficile de penser en dehors du cadre. C’est ce que confirmait une table ronde consacrée à l’état des filières agricoles et agro-alimentaires, organisée le 5 avril au matin, en présence de responsables de la FNSEA ou de cadres du secteur coopératif. Pour ces dirigeants, on assiste à une « destruction de valeur » à l’aval de l’agriculture, qui se traduit par des tendances déflationnistes sur les produits, et une rentabilité introuvable pour les activités agricoles. Dans ce contexte, les questions environnementales sont alors des demandes sociales qui émanent d’une opinion partiellement manipulée. A aucun moment, les perturbations environnementales majeures, attribuées par les chercheurs à nos modèles agricoles, en matière de perte de biodiversité ou d’épuisement des sols, ne sont comprises comme des réalités objectivables. Et pourtant, dans une autre table ronde sur la biodiversité, organisée le même jour dans l’après-midi, le WWF, l’Institut Océanographique Paul Ricard ou le Muséum National d’Histoire Naturelle alertaient sur la situation mondiale gravissime en matière de biodiversité. Mas bizarrement, l’organisation du salon était ainsi faite que ces organisations et les responsables agricoles du matin ne pouvaient se croiser. Décidément, sortir des sentiers balisés et questionner les schémas établis sont choses difficiles…
Emmanuel Paul de Kèpos