Félix Billey est un jeune ingénieur diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Techniques et Industries du Bois, basé à Besançon. Inventeur et entrepreneur, il a plusieurs cordes à son arc : conception d’un vélo amphibie, création d’une maison tractable en bicyclette, fabrication et vente de boucles d’oreille en plumes naturelles… Il nous présente ses sources d’inspiration et le sens de son travail de conception et de fabrication d’objets low tech ou inspirés de la nature, posant ainsi la question de la place des technologies dans la transition écologique.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
J’ai 24 ans et toutes mes dents.
Quelles sont vos principales activités d’inventeur et d’entrepreneur ?
Actuellement, je conçois et fabrique une sorte de petite maison roulante tractable par un vélo. J’ambitionne de vivre quelques temps dedans. Je l’ai baptisée la BikeHouse. C’est un peu un clin d’œil aux start-up ou accélérateurs de projets en tout genre. Non pas que je ne crois pas à tout cela, mais je suis convaincu que, pour mettre au point quelque chose de fondamentalement nouveau, ou quelque chose de fou, où l’on se dépasse, où l’on va plus loin que ce que l’on peut même imaginer, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Et si le numérique donne parfois le sentiment que l’on peut tout avoir instantanément, j’ai l’impression que c’est un leurre, qui nous rend passifs et consommateurs. Partir à la conquête ou reconquête de ma spontanéité c’est un peu l’objectif de la BikeHouse, c’est mon incubateur personnalisé, en tant qu’inventeur, qui me laissera le temps d’approfondir des choses très intimes. C’est une échappatoire, un outil me permettant de cultiver mon jardin secret.
Imaginez-vous : être un arbre… Si vous évoluez dans un incubateur ou une start-up, vous développerez majoritairement vos branches et votre feuillage : vous êtes en concurrence pour la lumière et vous devez grandir vite pour ne pas être dans l’ombre. A travers la BikeHouse, la démarche est plutôt de développer les racines de mon arbre avant le feuillage. Ma croissance est insignifiante voir presque invisible, mais la particularité, c’est que la ressource principale n’est pas donnée par le ciel, mais par la terre ! Ainsi, en cas de tempête, l’arbre évoluant en start-up sera facilement déraciné car son feuillage est trop gros par rapport à ses racines ; en cas de sécheresse, l’arbre start-up sera beaucoup plus vulnérable car son feuillage est beaucoup plus étendu et ses racines pas assez pour puiser l’eau dans le sol. En bref, la BikeHouse a pour but de donner vie à des idées apparemment non viables dans le système actuel, c’est un peu sa vocation.
Comme quand on apprend à jouer d’un instrument de musique, le début est difficile, et une fois que ça commence à venir, ça devient satisfaisant, c’est plus simple de jouer et ça devient plaisant. Seulement il est très difficile d’arriver au point où cela devient plaisant, car tout ce qui nous entoure tend à nous divertir. Nous avons tendance à choisir la facilité. Quelque part, la BikeHouse a pour but de me plonger dans un inconfort, ou un confort juste suffisant, pour que la pratique de quelque chose d’a priori difficile dans le confort actuel, devienne très plaisant voir nécessaire pour trouver du plaisir ou l’équilibre. En fait, quand l’on est dans le confort, on n’a pas forcément besoin de faire quelque chose, on se contente de ce que l’on a. Rien ne nous incite à sortir de notre situation. Dans l’inconfort de la BikeHouse, je serai obligé de m’activer pour sortir de l’inconfort, pour oublier l’inconfort.
Donc, plus concrètement, mon activité aujourd’hui principale est la fabrication de la BikeHouse. Une fois celle-ci terminée et viable, le temps que je passe sur la BikeHouse se déplacera sur la mise au point d’un vélo amphibie. J’ai aussi des projets de spectacle, et surtout, je veux rester ouvert à l’inconnu. En parallèle, je développe avec une cousine une activité de fabrication et vente de boucles d’oreilles en plumes naturelles. Celle-ci exploite la technique du montage des mouches de pêche. Ça, c’est un peu le feuillage de mon arbre, mais qui ne pousse pas très vite et plutôt difficilement.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Pour la BikeHouse je m’inspire de mes besoins propres. Des plus primaires aux plus spirituels. Toutes les conséquences du réchauffement climatique (catastrophes naturelles, sécheresses, disparition d’espèces etc…) sont également des faits qui me pousse à mener mon projet au bout même si il est très marginal, et que j’ai peu de moyens. Pour les boucles d’oreilles, je trouve mon inspiration directement dans la nature.
En tant qu’inventeur, comment travaillez-vous ?
Cela dépend des activités. Généralement, j’opère par cycles. Je m’explique : quand je débute une activité, je lui consacre un tout petit peu de temps, même si quelque fois la motivation est telle que je pourrais travailler presque nuit et jour. Mais je préfère procéder ainsi pour ne pas risquer de me décourager. Ensuite, je libère de plus en plus de temps pour cette activité, jusqu’à atteindre une sorte d’apogée ou elle devient mon activité principale et occupe quasiment tout mon temps. Ensuite, je relance ou reprends une autre activité, qui va relayer petit à petit la première. Mais, attention à ne pas passer d’un projet à un autre sans avancer, fuir la difficulté de l’un en passant à l’autre et vice versa. Je peux imager mes propos avec la métaphore du pied de tomate : si on le laisse pousser tout seul, il produira plein de toute petites tomates ; si on enlève les « gourmands », il produira plusieurs belles tomates ; et si on enlève trop de tige et qu’on ne laisse qu’une seule fleur, il ne produira qu’une seule très grosse tomate.
Pour savoir si un projet me tient à cœur, je tiens une sorte de petit journal dans lequel je mets mes idées, mes réflexions, mon humeur. J’essaie d’être le plus honnête possible. Et quand je décide de lancer une idée, un projet, je reprends ce journal pour voir si l’idée est ancienne ou récente, récurrente ou anecdotique. C’est ce qui me permet de savoir avec plus d’assurance si un projet ou une idée me sera viable ou non dans le futur. Pour revenir au pied de tomate, savoir si c’est un « gourmand » ou si c’est une vraie branche productive.
Dans le développement de la plume à l’oreille, comment abordez-vous l’acte de vente ?
Je fonctionne en allant voir directement les responsables de boutique, et en leur montrant mes produits en vrai. Cela me permet d’observer leurs réactions, leurs observations. J’ai ainsi directement leur réponse. C’est aussi plus simple pour négocier les prix, et les formalités de vente, d’exposition… Ce que j’apprécie dans cette façon de faire, c’est que même si les boutiques ne veulent pas de mes produits, les employés ou les responsables sont souvent très encourageants !
Quelle vision du monde ou de la société essayez-vous de mettre en œuvre ?
J’ai une certaine vision du monde et de la société, mais je ne peux pas dire que je cherche à la mettre en œuvre. Elle m’aide dans mes prises de décisions. Je vois la vie comme un grand jeu, fondé sur des lois instaurées par on ne sait qui ou on ne sait quoi, et où tout le monde perd à la fin.
Le monde du travail est également un jeu, un grand jeu de société où il y a des gagnants et des perdants. Dont la seule véritable importance est de meubler l’existence, la rendre moins lourde, la rendre exaltante. Une façon de détourner son esprit sur des problèmes moins impactant, moins douloureux, que des questions existentielles sans réponses. Concrètement, cette façon de voir se traduit par plusieurs type de comportements chez moi : « puisque mon travail n’est pas important, alors au moins qu’il soit épanouissant », « puisque mon travail n’est pas important, je ne risque rien », « puisque mon travail n’est pas important, qu’il ne détruise pas ce qui l’est ».
Quelles sont les prochaines étapes pour « la plume à l’oreille » et vos diverses activités ?
Dégager un salaire pour ma cousine et moi : bref, rendre l’activité rentable. Aller le plus loin possible dans le respect de l’environnement et de nos idées.
Emmanuel Paul de Kèpos