Le village d’Ungersheim, à 15 kilomètre de Mulhouse, est engagé depuis quelques années dans une démarche de transition. Emmenés par leur maire, Jean-Claude Mensch, les habitants multiplient les initiatives dans le domaine agricole, alimentaire ou énergétique, mettant en œuvre une logique d’autonomie et de sobriété. Le fondement de la démarche est une réappropriation collective, par les villageois de leur « autonomie intellectuelle », à travers divers projets de démocratie participative.
La réalisatrice Marie-Monique Robin vient de consacrer un documentaire, nommé « Qu’est-ce qu’on attend ? », à ce village en transition. Le film vaut essentiellement par la mise en valeur de la dynamique collective qui prévaut dans le village : la transition est possible par une reprise en main par les habitants de leur destin. En ce sens, on a l’impression qu’une conversion collective à l’idée de transition est nécessaire avant toute mise en œuvre, conversion qui ressemble à une réappropriation par les habitants de l’idéal démocratique. Le documentaire met également bien en lumière les initiatives convaincantes prises en matière alimentaire : installation d’une entreprise d’insertion maraichère, qui propose des paniers bio aux habitants, création d’une conserverie, lancement d’une ferme participative en permaculture, conversion au bio d’agriculteurs du village, etc…
En revanche, on reste surpris par l’étendue du chemin encore à parcourir : nous sommes ici dans le grand périurbain de Mulhouse, avec essentiellement des maisons individuelles, où les déplacements doivent se faire en très grande majorité en voiture. Le village reste environné de champs de grande culture, essentiellement du maïs. L’aménagement de la commune ne laisse pas plus de place que cela à la verdure, l’espace étant comme ailleurs tout à fait artificialisé.
Cela ne laisse pas d’interroger sur les vertus et les limites de l’action collective et/ou de l’action publique en matière de transition. Si l’énergie déployée est réelle, les seules ambitions locales ne suffissent peut-être pas sur des sujets où l’apport extérieur est pour l’instant indépassable : la dépendance aux ressources externes est encore considérable dans ce village sur nombre de sujets. Cela pose la question des autres échelons de l’action publique : communauté de communes, région, Etat, Europe. Quelle synergie entre toutes ces échelles ? Quelle place pour le bottom/up et le top/down ? Enfin, dernières questions : quelle est la place de l’élu dans une telle dynamique ? Comment faire la part d’un empowerment nécessaire des populations, et d’une initiative dont les représentants élus ont d’une certaine manière la maîtrise finale ? Car dans ce type d’exemple et en dépit des efforts déployés, ce n’est qu’une partie du village qui s’investit dans la transition. L’initiative privée est également essentielle : elle échappe pour partie à l’impulsion publique, et pourtant, elle permet de multiplier l’impact des efforts fournis par la collectivité.
L’ironie de l’histoire est finalement qu’il s’agit, à travers une telle dynamique de village en transition, de rendre l’espace rural tel qu’il était il y a cinquante ans, avec des fermes polyculture-élevage, des commerces de centre-bourgs, des trains qui irriguaient le territoire, etc… L’histoire est un éternel recommencement.
Emmanuel Paul de Kèpos