Le temps des forêts : guerre et espérance

Le temps des forêts est un documentaire français de François-Xavier Drouet sorti en septembre 2018. Il nous propose une balade au cœur des forêts françaises, et nous fait découvrir une sylviculture en état de guerre. La guerre, c’est l’image qui vient quand on voit le travail des abatteuses, énormes engins tractés capables de raser une parcelle de forêt en quelques heures. Les châssis monstrueux de ces machines n’ont rien à envier à du matériel militaire. Après leur passage, il ne reste rien, pas même une couche d’humus, savamment raclée pour éliminer toutes traces de vie. Rasée, la parcelle peut alors être replantée d’une essence unique (souvent du douglas, ou du pin maritime dans les Landes), selon des rangs qui faciliteront le prochain passage des débroussailleuses. Pour éviter l’implantation de tout arbre non souhaité, on utilisera des produits phytosanitaires. Et enfin, on cherchera à installer des rotations de plus en plus courtes entre les différentes coupes, permettant un retour sur investissement plus rapide. La forêt est entrée dans un nouvel âge industriel. De lieu de vie, elle est devenue, en quittant le monde naturel, un sanctuaire de la mort.

C’est que, comme le confie un gros industriel du secteur, nous sommes en « guerre économique » avec les Scandinaves. Ceux-ci, plus pragmatiques que nous, n’ont plus que 3 essences dans leurs forêts, alors qu’il en demeure encore une cinquantaine chez nous. Tout dès lors est normé, mesuré, standardisé, afin de produire au meilleur prix les équipements ou matériaux qui sont dans nos magasins de bricolage. Au final, ce sont les consommateurs lambda, vous, moi, qui sont la mesure de tout cela : tout le système est conçu et géré pour les satisfaire au moindre prix. C’est la « banalité du mal », notre irresponsabilité collective.

Au cœur de cette entreprise de destruction, le temps. Une forêt met du temps à pousser, beaucoup de temps, des décennies, des siècles. Tout l’enjeu est de rendre cela compatible avec notre impatience contemporaine. Ainsi, on ne sera plus intéressé par les grands arbres, qui ont poussé très longtemps. Notre outil industriel n’est plus équipé pour eux. On choisira des essences qui croissent vite, scientifiquement sélectionnées. La forêt est alors le symptôme de notre rapport altéré au temps : nous sommes drogués à l’immédiateté. Notre système industriel est calibré pour gérer à haute fréquence une production uniformisée.

« La guerre, c’est la poursuite de la politique par d’autres moyens » disait Clausewitz. Quelle est donc cette politique ? Elle est benoîtement énoncée par le Président du Conseil Régional de Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset : la surenchère technologique, la course à l’innovation, l’augmentation de la rentabilité… La politique forestière est ordonnée à cette fuite en avant, à cette devise « Plus ultra » dont parle Bruno Latour. Cette politique, elle se traduit par une marchandisation du commun : les agents de l’Office National des Fôrets sont là aujourd’hui pour valoriser économiquement le domaine public, ils n’ont plus l’impression de « pérenniser » la ressource forestière : le temps leur échappe. Leurs collectif se dissolvent et le découragement point : « ce que vous semez, c’est de la désespérance » dit l’un deux à ses directeurs. Ou comment apparaît la déliquescence du politique : on ne fait plus de politique, on gère, on manage.

Au milieu de ce champ de bataille, comment bâtir une espérance ? Par une attention renouvelé au temps : laisser pousser l’arbre, abattre au meilleur moment de grands arbres pour des usages nobles, laisser la diversité s’épanouir dans les forêts, refaisant place à la vie animale et végétale dans toute sa richesse… De nombreuses initiatives sont conduites ici et là, comme un retour aux savoir-faire de nos ancêtres. Un chemin de résistance en quelque sorte. Un itinéraire de dépossession également : accepter qu’un arbre, un être vivant, ne rentre pas totalement dans nos logiques de domination.

Emmanuel Paul de Kèpos

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